PhiLab : quand le monde de la recherche se penche sur la philanthropie

Note de l’éditeur : plus tôt cette année, dans le but de renforcer les liens entre la communauté universitaire de PhiLab – le réseau canadien de recherche sur la philanthropie basé à Montréal – et le secteur caritatif sans but lucratif, nous avons demandé à la journaliste de solutions Diane Bérard de réaliser des entrevues avec une éventail de chercheurs de la communauté PhiLab. Nous espérons que ces entretiens permettront de mieux connaître ces femmes et ces hommes qui ont choisi de faire du secteur à but non lucratif leur objet d’étude. Et que ces conversations donneront un aperçu du travail important qu’ils accomplissent, de leurs passions et de leurs réflexions sur le secteur.

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Depuis quelques années, le secteur philanthropique canadien peut compter sur un réseau de plus de 80 chercheurs, le PhiLab. Son siège se trouve au centre-ville de Montréal, dans les bureaux de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Les chercheurs sont répartis entre cinq pôles: le centre régional du Québec, de l’Ontario, de l’Atlantique et de l’Ouest et le centre sectoriel de recherche des Premières Nations.

PhiLab est un lieu de recherche partenariale. Chaque recherche est menée avec un ou plusieurs acteurs du milieu philanthropique, en réponse à un besoin de ce secteur. C’est aussi un espace de partage d’information et de mobilisation des connaissances sur la philanthropie, et plus précisément les fondations canadiennes. Par ailleurs, ce réseau ne se limite pas à diffuser la recherche qu’il génère. Sa veille continue lui permet de diffuser aussi la connaissance existante sur le sujet.

Si PhiLab existe, c’est en partie parce que la famille Chagnon, des entrepreneurs québécois devenus philanthropes suite à la vente de leur entreprise, s’est questionnée sur son rôle et son action dans la communauté. Leur démarche a permis de réaliser une quasi-absence de recherche sur le secteur philanthropique canadien. Le réseau produit aujourd’hui des activités de recherche-action et de recherche fondamentale sur des thèmes, des questions et des enjeux liés à l’histoire et au développement de la philanthropie au Canada, avec des comparaisons sur la philanthropie à l’étranger.

Remontons le fil pour voir les circonstances qui ont mené à la création de PhiLab.

Les questionnements de la Fondation Lucie et André Chagnon

Dès son lancement en octobre 2000, la Fondation Lucie et André Chagnon déclenche une onde de choc dans le paysage philanthropique. Dans cet univers habitué à l’action discrète, la nouvelle fondation accepte de mener son action sous les feux de projecteurs. Après avoir fondé la société de télécommunication Vidéotron, les Chagnon étaient à l’époque l’une des familles d’entrepreneurs les plus célèbres du Québec. Devenus philanthropes à temps plein, ils importent leur approche entrepreneuriale à leur action philanthropique. Ainsi, leur fondation noue rapidement d’importants partenariats avec le secteur de la santé publique québécois.

Si la taille de son fonds de dotation, qui s’élève à 1,4G$, capte d’abord l’attention, c’est surtout la stratégie menée par la fondation qui fait jaser. De 2005 à 2015, la Fondation Lucie et André Chagnon devient carrément partenaire de l’État québécois. Cette approche plutôt entrepreneuriale suscite une certaine grogne chez le secteur communautaire. Le grand public manifeste aussi un peu de scepticisme face à l’approche de la Fondation. Il faut dire qu’à cette époque, les partenariats public-privés n’ont pas tellement la cote.

En 2010, la Fondation Lucie et André Chagnon entame donc une réflexion sur l’enjeu d’acceptabilité sociale auquel elle fait face et, plus largement, sur sa place dans la société québécoise. Les chercheurs Taïeb Hafsi (HEC Montréal), Benoît Lévesque (UQAM), Juan-Luis Klein (UQAM), Dennis Harrisson (UQO) et Jean-Marc Fontan (UQAM) l’accompagnent dans ses questionnements. « Nous avons rapidement constaté les lacunes de la littérature et de la recherche québécoise et canadienne en matière de philanthropie, souligne Fontan, co-directeur de PhiLab. Les seuls documents auxquels nous pouvions nous référer pour répondre aux questions de la Fondation Chagnon étaient américains. »

En 2012-2013, l’équipe de chercheurs lance donc un appel à leurs homologues à travers le Canada : et si le monde de la recherche se penchait sur le secteur de la philanthropie et ses enjeux? Quels seraient les besoins en matière de connaissances? Pour le savoir, ceux qui deviendront les deux directeurs de PhiLab, Fontan et Peter R. Elson (professeur à l’école d’administration publique de l’Université de Victoria), partent à la rencontre des fondations philanthropiques canadiennes. Il fallut une année pour trouver un point d’intersection entre les besoins des philanthropes, qui souhaitaient qu’on produise des connaissances sur l’impact de leurs dons, et les champs d’intérêt des chercheurs, qui souhaitaient évaluer l’impact de ces dons sur la justice sociale et environnementale. Ainsi naissent les contours de PhiLab.

On s’entend alors sur trois objectifs :

  • Mener de façon continue un portrait du secteur philanthropique;
  • Mesurer les impacts des diverses actions philanthropiques sur la justice sociale et environnementale;
  • S’assurer de couvrir l’action et les enjeux de fondations de taille moyenne.

Ces objectifs se déclinent à travers les trois questions suivantes :

  • Face à la transition sociale et écologique, quel est le rôle politique des fondations subventionnaires?
  • Concernant les enjeux socio-économiques et environnementaux, quels sont les impacts/l’influence et/ou les retombées des fondations subventionnaires?
  • Quelle peut être la contribution de la recherche pour mieux connaître, faire connaître et appuyer le fonctionnement des petites et moyennes fondations?

Outre les préoccupations récurrentes des fondations, comme l’enjeu des frais de gestion et d’administration, les chercheurs du PhiLab se penchent sur des sujets d’actualité, comme la sécurité alimentaire, la réconciliation, la justice raciale, la gouvernance collective et la finance sociale. Certains chercheurs sont très actifs dans le secteur de la philanthropie et y consacrent plus de la moitié de leurs travaux. Pour d’autres, la collaboration s’avère ponctuelle.

Quand une fondation travaille avec PhiLab

Le principal défi de PhiLab est culturel, estime Fontan. « Toutes nos recherches sont réalisées en partenariat avec des fondations. C’est la norme, poursuit le professeur de sociologie. Mais près des trois quarts de ces fondations n’ont pas d’expérience dans ce type de projet. Elles nous voient davantage comme des consultants. Or, nos façons de travailler diffèrent beaucoup. »

Généralement, le consultant définit les paramètres de son mandat avec son client. Il propose une palette de services parmi lesquels le client peut choisir. Ensuite, la production de connaissances est externalisée, et c’est le consultant qui en a la responsabilité. Finalement, les résultats du rapport appartiennent au client. « La recherche partenariale s’avère plus organique, explique Fontan. Elle est le fruit d’un dialogue continu entre l’organisation partenaire et le chercheur, et non le résultat d’une demande cadrée comme peut l’être un mandat de consultation. »

Travailler avec un chercheur suppose aussi qu’il n’occultera pas les points de tension observés, souligne Fontan. On pourrait citer, entre autres, le questionnement actuel des fondations universitaires face au désinvestissement du secteur des énergies fossiles. C’est un enjeu où s’opposent deux postures : l’adhésion au désinvestissement et la résistance à ce retrait jugé trop risqué pour la rentabilité financière de la fondation. « Les aspects politiques de notre objet d’étude sont discutés avec la fondation partenaire tout au long de la recherche. Au moment de présenter nos résultats, un chercheur n’émet pas de recommandations fermes comme le ferait un consultant. Il présente une foule de nuances et de possibilités. »

De plus, le temps d’exécution est plus long, et ce, pour trois raisons. D’abord, la connaissance produite résulte souvent de croisement de savoirs. On jumèle l’expertise terrain, les études de cas, et ce que nous dit la théorie, qui suppose une étape de revue de la littérature. Enfin, l’équipe de recherche est principalement composée d’étudiants, pour former la relève, ce qui entraîne un temps de formation et une courbe d’apprentissage.

Des partenariats pour l’avenir

La relation entre PhiLab et le monde philanthropique est en construction. « La conversation est amorcée entre nos chercheurs et les fondations. Nous nous apprivoisons. Le lien de confiance s’est d’abord construit à travers nos échanges formels, dans le cadre des mandats de recherche partenariale. Il reste à le renforcer à travers des rapports informels, par exemple des échanges téléphoniques spontanés. Il faudra aussi élargir notre réseau avec des fondations qui se trouvent à l’extérieur du cercle de nos collaborations habituelles », conclut Fontan.

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Diane Bérard est journaliste de solutions indépendante. Cette pratique consiste à présenter, avec un regard critique, des solutions aux enjeux sociaux et environnementaux du 21e siècle.

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